Le Portage Salarial est-il un facteur supplémentaire de précarisation de l’emploi s’ajoutant à toutes les formules classées dans cette catégorie ? Est-il également susceptible de renforcer une tendance dénoncée par nombre d’acteurs de la vie économique et politique ?
La précarisation de l’emploi, une source de préoccupation en France
Au sein de ce blog, nous souhaitons aborder, sans n’en négliger aucun, tous les sujets qui sont en relation avec cette nouvelle forme d’emploi que constitue le Portage Salarial. Or les emplois précaires sont une véritable préoccupation actuelle*. La période de difficultés économiques que nous traversons provoque une crise de l’emploi et voit reculer les CDI au profit de contrats temporaires de plus en plus nombreux (voir la source citée dans la note en bas de page). C’est l’attention portée à cette tendance qui peut laisser penser que le Portage est au nombre des « solutions » qui s’offrent aux entreprises pour confirmer l’emploi dans sa vocation de variable d’ajustement conjoncturel.
Doit-on considérer le portage salarial comme une forme d’emploi précaire ?
Bien que ce jugement puisse se rencontrer chez ceux qui défendent l’idée d’une restauration légitime d’un emploi salarié stable, je dois dire que concernant le Portage il s’agit d’une tautologie. Il n’est pas question pour moi ici d’opposer une opinion à une autre afin d’affirmer en creux un choix politique personnel. En revanche, j’entends démontrer par une succession de faits fondés sur des données tangibles, que cette formule n’est pas le parent pauvre de l’emploi, mais plutôt un des signaux faibles de l’émergence d’un nouveau rapport à l’emploi pour une partie des cadres.
Les arguments contraires à l’idée de précarité peuvent être divisés en deux catégories suivant qu’on a recours au portage de façon transitoire ou dans l’idée de devenir autonome dans une perspective de long terme.
Une solution qui facilite les transitions professionnelles
Avoir recours au Portage pour faciliter une transition, un passage, entre deux situations, fut la vocation première de cette nouvelle forme d’emploi. Il s’agissait, dans les années 90, de permettre à des cadres – essentiellement des seniors – d’accepter des missions sans perdre le bénéfice de leurs ASSEDIC. Une fois cette question réglée par un aménagement du règlement de l’UNEDIC sur le travail à temps partiel, la formule aurait dû être promise à une extinction naturelle, pourtant ce ne fut pas le cas, loin de là, car c’est après 2002 qu’elle connut sa principale expansion. C’est alors que sa population s’est diversifiée : cadres entre deux emplois, seniors, jeunes retraités, femmes en recherche d’un équilibre de vie, futurs créateurs d’entreprises, salariés classiques cherchant à abriter une activité complémentaire…
Des transitions de natures diversifiées
La transition est toujours le premier motif pour entrer dans une société de Portage salarial. Le premier en importance d’un point de vue numérique, mais aussi le premier entendu comme la première motivation, celle qui domine : il s’agit d’aménager une période entre deux jobs, entre une situation et une autre qui ne sera pas nécessairement un emploi au sens classique du terme : retraite, création d’entreprise, reprise d’un cursus de formation.
Au sens où la transition peut être comprise comme le témoignage d’une instabilité de l’emploi, caractéristique de la précarité engendrée par une crise profonde des valeurs qui président à l’édification de l’économie, ceux qui souhaiteraient condamner le Portage sur l’autel de l’orthodoxie en matière d’emploi, pourraient pointer le doigt cet aspect qui pourtant n’est pas un obstacle à la bonne santé du marché.
Le portage salarial, une ligne d’horizon encourageante pour l’emploi des cadres
Pour autant la fréquence plus importante des transitions est liée à des facteurs qui le plus souvent, ne tiennent pas à « la crise » mais plutôt à des changements dus à l’accélération des renouvellements technologiques, des cycles de vie des entreprises, des modes de consommation. La preuve en est que le marché de l’emploi des cadres – source quasi-unique de recrutement pour les entreprises de Portage – connaît un taux de chômage d’environ 5 %, soit six points de moins que le chômage en général, ce qui le situe à un niveau proche du plein emploi.
Quand bien même le plein emploi reviendrait dans notre pays pour l’ensemble des catégories de salariés, il est certain qu’il ne s’agirait plus des mêmes emplois stables que lors des « Trente Glorieuses ». Autrement dit, il est peu probable qu’on retrouve une majorité de carrières fondées sur une progression continue dans la même entreprise. Tous les cadres savent qu’aujourd’hui leur vie professionnelle sera constituée d’expériences multiples et variées. C’est une vérité bien ancrée et même acceptée comme positive à la condition que les phases de transition ne soient pas trop longues et ne constituent pas un facteur d’anxiété par la mise en cause des principaux facteurs d’équilibre de vie : revenus, vie affective, développement personnel…
Un ajustement personnalisé et personnalisable
Dans ce cadre le Portage Salarial est une source positive d’ajustement des revenus mais aussi des compétences, en permettant de vivre une ou plusieurs expériences complémentaires, dans ces périodes de transition qu’il sécurise. Il est d’une souplesse exceptionnelle, on peut en effet contracter auprès d’une entreprise de Portage sous 24 h et en sortir dans le même délai. Cette caractéristique est inégalable et vient contredire les tenants de l’aménagement du statut d’indépendant qui quoiqu’on fasse restera toujours beaucoup plus lourd à gérer que le Portage, et donc bien moins opérant. En effet, la transition est par essence difficile à maîtriser dans son délai, le retour à l’emploi n’étant pas chose planifiable.
Par ailleurs pourquoi un jeune retraité qui souhaiterait mener à bien une ou deux missions devrait-il obligatoirement envisager de devenir chef d’entreprise ? Veut-on favoriser les statistiques de l’entrepreneuriat ou simplifier la vie des citoyens ?
Une nouvelle forme d’emploi répondant à une conjoncture économique en mouvement
Dans une économie moderne, quelle que soit la période de référence – crise ou croissance – les structures de transition sont des nécessités vitales. Elles permettent de retrouver une référence stable dans une carrière où l’entreprise classique ne peut plus assumer ce rôle. Ainsi dans les entreprises de Portage qui ont plus de 10 ans d’ancienneté, reviennent régulièrement des cadres sachant qu’ils vont retrouver là des conditions d’accueil propres à faciliter leur transition.
Le débat qu’on oppose au Portage sur l’orthodoxie du droit du travail que les dispositions nécessaires à son exercice mettraient à mal, paraît bien spécieux à l’aune des exceptions qui figurent déjà dans les textes et des réalités en contravention avec ledit droit, que personne ne songe à remettre en cause tant elles font partie des pratiques nécessaires au bon fonctionnement de notre économie : SSII où l’employeur n’est pas le donneur d’ordres, cabinets de conseil où les consultants assument un rôle commercial, professions règlementées où le lien de subordination est notoirement contrarié par les serments prêtés auprès des divers ordres ainsi que par la nécessité d’indépendance de décision liée à l’exercice même de la profession. L’exception ne peut constituer la règle dès lors qu’elle est visée comme telle par la loi et que ses conditions d’applications sont correctement définies.
Le Portage comme structure de transition a un réel avenir, celui que lui promettent ceux qui le plébiscitent chaque jour davantage et ils sont nombreux. Mais il faut compter également de plus en plus avec d’autres motifs d’utilité viennent renforcer cette première réponse.
Je vous propose de nous retrouver la semaine prochaine sur ce blog pour lire la suite de cet article et découvrir comment le Portage peut servir ceux qui aspirent à rompre avec l’emploi traditionnel voire à devenir de véritables entrepreneurs. Ils constituent la seconde catégorie de portés, celle qui vit cette forme d’emploi comme un tremplin dans leur parcours professionnel, comme un avenir…
*L’Observatoire des Inégalités note que les personnes en emploi précaire représentaient 14 % de la population salariée au 30 décembre 2013 : www.inegalites.fr/spip.php?article957
1 commentaire
Ne pas condamner le Portage sur l’autel de l’orthodoxie en matière d’emploi. D’autres statuts ou modalités battent largement en brèche les fondamentaux de l’indépendance ou de l’emploi CDD/CDI classique, comme le montre bien l’article.